Les limites de la VMA : Pourquoi ce n’est pas toujours la clé du succès

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Personne sur une piste d'athlétisme

En France, les entraînements basés sur la Vitesse Maximale Aérobie (VMA) occupent une place centrale dans de nombreux plans d’entraînement pour les coureurs de tous niveaux. Que ce soit sur piste ou lors de séances de fractionnés, la VMA est souvent considérée comme l’outil incontournable pour améliorer ses performances. Pourtant, bien que ces séances aient certainement leur utilité, leur importance est parfois exagérée.

Dans l’article précédent nous avons discuté de comment améliorer sa VMA. Bien que ce soit un outil intéressant pour progresser, cet article vise à remettre en perspective l’usage des entraînements VMA. Nous verrons que d’autres facteurs, souvent sous-estimés, comme l’économie de course, jouent un rôle crucial dans la progression d’un coureur. De plus, la majorité des coureurs, surtout ceux qui manquent d’endurance, auraient beaucoup plus à gagner en intégrant des séances au seuil, plutôt que de se concentrer exclusivement sur la VMA.

Dans les sections suivantes, nous allons explorer ces idées et discuter des alternatives qui pourraient être plus efficaces.

1. L’économie de course : un facteur clé souvent négligé

Le premier argument contre l’importance excessive accordée à la VMA réside dans un aspect souvent sous-estimé : l’économie de course. Un exemple très souvent cité de ce phénomène est l’athlète britannique Paula Radcliffe, détentrice du record du monde du marathon pendant plus de 16 ans. Entre 1992, alors qu’elle courait en catégorie junior, et 2003, l’année où elle a établi son record du monde, sa VO2 max est restée la même. Pourtant, ses performances se sont considérablement améliorées pendant cette période.

Qu’est-ce que l’économie de course ?

L’économie de course se définit par la quantité d’énergie (ou d’oxygène) qu’un coureur utilise pour une vitesse donnée. En d’autres termes, un coureur avec une bonne économie de course consomme moins d’oxygène pour maintenir une allure spécifique que quelqu’un avec une moins bonne économie. 

C’est un facteur crucial dans les performances de longue distance, notamment parce que les gains en économie de course permettent de courir plus vite sans nécessairement augmenter la consommation d’oxygène.

D’un point de vue scientifique, l’économie de course est mesurée par la consommation d’oxygène (VO2) à une vitesse sous-maximale. Une meilleure économie de course signifie une réduction de cette consommation d’oxygène pour une même intensité d’effort. 

Pas un bon prédicteur de la performance

Contrairement à la VMA ou au VO2 max, qui sont souvent des prédicteurs limités de la performance en course de fond, l’économie de course s’avère être un meilleur indicateur de la capacité à performer sur des distances plus longues. Comme démontré par Saunders et al. dans cette étude scientifique, des athlètes peuvent conserver une VO2 max ou une VMA relativement stable mais améliorer considérablement leurs performances grâce à une économie de course optimisée

C’est le cas de nombreux marathoniens et coureurs d’élite qui se concentrent moins sur l’augmentation de leur vitesse maximale aérobie et plus sur l’efficacité de leur foulée et leur capacité à courir à des allures spécifiques.

Des exemples concrets

Larsen et al. (2003) ont étudié des coureurs kenyans d’élite et ont constaté que, bien que leur VO2 max ne soit pas nécessairement supérieur à celui des coureurs européens, leur économie de course était largement meilleure, ce qui expliquait en grande partie leur domination sur les distances de fond .

Les chercheurs sont de plus en plus nombreux à distinguer plusieurs facteurs dans l’analyse de la performance en course de fond :

  1. VO2 max, la capacité maximale à consommer de l’oxygène.
  2. Économie de course, l’efficacité avec laquelle cet oxygène est utilisé à des vitesses sous-maximales.
  3. Capacité à soutenir une fraction élevée de VO2 max, c’est-à-dire la capacité à maintenir un pourcentage élevé de VO2 max pendant une longue durée.

Ainsi, un coureur peut améliorer ses performances de manière significative en apprenant à maintenir une fraction plus élevée de sa VO2 max pendant une période plus longue, sans nécessairement augmenter sa VMA. Coyle et al. (1988) ont démontré que les coureurs de haut niveau peuvent maintenir environ 85 à 90 % de leur VO2 max pendant une longue durée, ce qui constitue une stratégie d’amélioration efficace pour la course longue distance .

Elite kenyan runners

Un point très important

Beaucoup de coureurs pourraient se demander : “Est-ce qu’améliorer ma VMA ne va pas aussi améliorer mon économie de course ?” La réponse est oui, en partie. Travailler la VMA peut effectivement contribuer à une meilleure efficacité globale de la foulée. C’est pour cette raison que ces séances sont utiles, surtout en début de préparation, pour développer une base solide.

Cependant, à l’approche de la course, l’accent doit se déplacer vers l’entraînement à l’allure spécifique. Cela permet au corps de s’habituer à être le plus efficace possible à cette vitesse cible. J’ai souvent observé des coureurs s’entraîner presque exclusivement à leur VMA. Le jour de la course, malgré une allure définie, ils partent trop vite car ils ne la maîtrisent pas.

Cette observation est vraiment au cœur de la critique de la VMA : négliger l’allure spécifique peut saboter une préparation, car le corps n’a pas appris à être optimal à l’intensité de course. Une stratégie équilibrée et progressive, avec des cycles VMA en début de préparation et des séances spécifiques plus tard, est souvent bien plus efficace.

2. Les coureurs en manque d’endurance

Pour la majorité des coureurs amateurs, le manque d’endurance est souvent plus problématique que le manque de vitesse. Dans ces cas, les entraînements au seuil (aussi appelés « tempo runs » ou “threshold”) peuvent apporter des bénéfices plus intéressants que les cycles de VMA.

C’est un mode d’entraînement qui a été beaucoup popularisé récemment par les coureurs norvégiens, notamment sous l’influence des frères Ingebrigtsen.

Contrairement aux entraînements basés sur la VMA, les Norvégiens ont démontré que le travail au seuil, en se concentrant sur une intensité modérée mais durable, est particulièrement efficace pour améliorer la performance, même à très haut niveau​.

Est-ce que cela veut dire que Jakob Ingebrigtsen, un des meilleurs coureurs au monde, ne fait jamais d’entraînement VMA? A priori non. Mais ses entraînements ne sont en tout cas pas basés dessus.

D’un autre côté, certains coureurs ont une bonne endurance mais manquent de vitesse, particulièrement ceux dont les allures au 5 km et 10 km sont assez proches. Pour ces profils, un cycle de VMA peut être bénéfique, car il développe la vitesse maximale et la capacité à courir à des intensités plus élevées.

Les mauvaises allures

Les coureurs avec un profil « vitesse », peuvent parfois se retrouver avec des allures VMA trop élevées. Cela pose un problème lorsqu’ils tentent de suivre un cycle de VMA strict basé sur leurs tests, car ces allures exagérées les exposent à un risque accru de surentraînement ou de blessures.

Cela devient problématique pour les efforts dépassant 2 à 3 minutes. Un coureur rapide peut être à l’aise sur des efforts courts à sa VMA, mais dès que la durée augmente, le manque d’endurance rend la tâche plus compliquée.

Les entraînements comme 5 x 1000m à 90% de la VMA sont basés sur le fait que le coureur a une bonne endurance. Avec une mauvaise endurance ce sont à priori des allures un peu trop rapides.

Même s’il est capable de réaliser l’entraînement, il risque de dépasser ses capacités de récupération. Cela peut entraîner une fatigue chronique, des douleurs musculaires ou des blessures de surutilisation comme des tendinites ou des fractures de stress, souvent observées chez les coureurs en surentraînement.

3. Les blessures : Un risque élevé avec les séances de VMA

Les séances rapides sont particulièrement exigeantes pour le corps et peuvent augmenter le risque de blessures. Les efforts intenses sollicitent fortement les muscles, les tendons, et les articulations, et peuvent entraîner des blessures dues à la surcharge. Cela est d’autant plus vrai pour les coureurs qui reviennent de blessure ou ceux ayant une prédisposition à certaines fragilités physiques.

Les coureurs sensibles aux blessures devraient éviter de se précipiter dans des cycles de VMA et privilégier plutôt des séances d’endurance fondamentale (EF) avec un retour progressif aux séances de vitesse, en commençant d’abord par des allures de seuil facile (proche de votre allure marathon – semi-marathon).

4. Les limites de la VMA pour les athlètes expérimentés

Chez les athlètes expérimentés, la VMA et le VO2 max peuvent atteindre un plateau après plusieurs années d’entraînement, avec des gains minimes ou inexistants. Cette stagnation est due au fait que la VO2 max a des limites physiologiques liées en partie à des facteurs génétiques. Une fois qu’un coureur a maximisé son potentiel en termes de capacité aérobie, il devient difficile d’améliorer davantage cette capacité par des cycles de VMA.

Plusieurs études montrent que la VO2 max ne continue pas à augmenter indéfiniment, même avec un entraînement intensif. Par exemple, Legaz Arrese et al. (2005) ont observé que, chez un groupe de 33 coureurs d’élite suivis sur une période de trois ans, les performances se sont améliorées de 1,77 % chez les hommes et 0,69 % chez les femmes, alors que leur VO2 max restait essentiellement inchangée. Ces résultats montrent que la progression des performances ne dépend pas nécessairement de l’augmentation de la VO2 max une fois celle-ci stabilisée.

Les athlètes expérimentés peuvent donc bénéficier davantage d’entraînements basés sur le seuil ou des efforts plus longs et soutenus basés sur leurs allures de course, qui permettent de repousser la fatigue et d’améliorer l’endurance spécifique à la course. Ces méthodes se révèlent souvent plus efficaces que les séances de VMA pour améliorer la performance une fois que la VO2 max a atteint son plafond​.

Elite runners during Berlin marathon

Un cas surprenant… mais pas si surprenant

Il est même possible de voir sa VO2 max diminuer tout en améliorant ses performances globales, comme le montre un exemple frappant dans l’étude de Jones et Carter (2000). L’athlète étudié, un marathonien d’élite, a vu sa VO2 max baisser de 73 ml/kg/min à 70 ml/kg/min sur une période de 12 ans. Malgré cette baisse, ses performances en compétition se sont considérablement améliorées. En fait, il a abaissé son temps marathon de 2h18 à 2h11 durant cette période.

Comment est-ce possible ? C’est parce que d’autres facteurs clés sont intervenus pour compenser la baisse de VO2 max, notamment une meilleure économie de course et une capacité accrue à maintenir une intensité élevée sans accumulation excessive de lactate.

En conclusion : Il faut de tout pour progresser

La VMA peut être un outil intéressant pour améliorer certaines facettes de la performance, mais elle doit être utilisée avec discernement et en fonction du profil de l’athlète. Il est important de se rappeler que la clé de la progression réside dans la variété et l’équilibre des méthodes d’entraînement. Un bon programme inclura souvent une combinaison de séances d’endurance fondamentale, de travail à des allures spécifiques, ainsi que quelques séances plus intenses, comme celles basées sur la VMA. Mais tout dépend du coureur.

Lorsque vous débutez, l’important est simplement de courir régulièrement sans se blesser. C’est à ce stade que des gains sont réalisés par l’amélioration générale de la condition physique, qu’il s’agisse de la VMA ou d’autres formes d’entraînement. Il est donc facile d’attribuer à un cycle de VMA une progression qui aurait tout aussi bien pu être obtenue avec des séances d’endurance plus classiques ou des entraînements au seuil lactique.

En bref, la VMA ne doit pas être vue comme une solution unique ou miracle, mais plutôt comme une pièce dans un puzzle plus large d’entraînement équilibré et adapté à chaque individu.